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 Aux origines du roman algérien d'expression française

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meriem

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MessageSujet: Aux origines du roman algérien d'expression française   Aux origines du roman algérien d'expression française Icon_minitimeMer 22 Oct - 14:34

Aux origines du roman algérien d'expression française Thumbn13

Le jeune roman algérien était considéré par la critique occidentale comme une copie conventionnelle de tel ou tel roman célèbre européen avec un modèle stylistique de grande réputation. Une telle opinion se retrouvait même dans des articles bienveillants où l'auteur de tel ou tel roman était couvert d'éloges et de compliments alors que son livre était réduit mécaniquement à un ensemble d'influences d'auteurs européens. Un tel choix était, évidemment, des plus aisés d'autant plus que les romanciers algériens citaient volontiers différents auteurs qui eurent une grande influence sur leurs oeuvres.

Kateb Yacine dans presque chacune de ses interviews parle de Maïakovski, Rimbaud, Joyce et Faulkner ; Malek Haddad - d'Aragon. Mohamed Dib raconte sa longue et opiniâtre lutte qu'il a fallu mener contre l'influence de Virginia Woolf qui s'était insinuée en lui. Le style de ses premiers livres, affirme-t-il, est né comme une anti-thèse au « raffinement insouciant » du style et modèle de pensée de la romancière anglaise. Mouloud Feraoun, selon les dires de ses proches, était très attiré par l'école russe. Il avait beaucoup d'admiration pour Tolstoï, Dostoïevski et Tchekhov. Et ce n'est pas par hasard qu'il choisit comme épigraphe à son premier roman le début du monologue de Sonia au quatrième acte dans « l'Oncle Vania ». Tout le monde, cependant, connaissait l'amitié que portait Feraoun à Albert Camus et la grande estime pour le talent de l'auteur de « l'Etranger », ouvrage qui explicitement inspira à Feraoun la scène de l'enterrement de Madame dans « Les chemins qui montent ». Il en est de même pour Mouloud Mammeri qui désigne Camus comme l'un des meilleurs écrivains modernes, et considère « L'étranger » comme l'une de ses plus brillantes oeuvres. Bien sûr, cela n'est pas suffisant pour conclure à une influence directe de Camus sur toute l'oeuvre de Mouloud Mammeri quoique nous arrivons à mieux percevoir l'un des épisodes du roman « Le sommeil du juste »: le jugement d'Arezki rappelle la scène du jugement de Merceau. Sûrement.

Un tel penchant pour le choix, notamment des étalons littéraires européens, est facile à comprendre. Les écrivains algériens, selon leurs propres dires, ne connaissent pas suffisamment la langue classique arabe pour étudier d'une manière approfondie l'héritage littéraire arabe. Cette coupure involontaire du passé culturel national était le sort de toute l'intelligentsia algérienne. Le seul lieu où l'Algérien pouvait plus ou moins se familiariser avec l'héritage culturel national, était la Medersa. Jusqu'en 1942, il n'y avait que trois en Algérie, fréquentées par presque deux centaines d'élèves. Et ce n'est pas un simple hasard si Mouloud Mammeri, Malek Haddad, Mohamed Dib et Mouloud Feraoun enseignèrent la langue et la littérature française dans les écoles françaises et... Rachid Boudjedra - la philosophie dans un lycée en France.

Il est bien évident se pose la question de la spécificité nationale du roman algérien. Sur quelle base est-il considéré comme un des meilleurs modèles de la prose africaine et traduit en plusieurs langues ? Peut-on réduire le roman algérien à une combinaison, aussi originale soit-elle, des influences littéraires européennes ? Par quoi, sinon par la lecture des « mille et une nuits » en français pour peut-être comprendre le fossé entre le passé culturel fort peu étudié et laissé loin derrière et l'éducation européenne de l'intellectuel algérien à la veille de la guerre de libération nationale ?

Quand la question fut posée à Kateb Yacine, l'un des plus connus et des plus populaires des écrivains algériens, sur l'influence qu'eut la littérature arabe sur son oeuvre, il répondit à peu près ceci : « Aucune influence, car je ne connais pas l'arabe littéraire ». Mais par ailleurs, le même Kateb Yacine parlait non seulement l'arabe algérien mais aussi l'amazighe. « Je n'aurais jamais pu écrire mes livres si je ne connaissais pas ces langues ». Il est certain que sans une connaissance profonde du folklore arabo-berbère, il aurait été impossible d'élaborer un canevas aussi original et aussi compliqué tant par le style que par le sujet de « Nedjma » et le « Polygone étoilé ».

Mohamed Dib avait rassemblé plusieurs recueils de contes arabo-berbères bien choisis et classés disait en parlant du folklore algérien : « concernant l'Algérie, il est préférable de ne pas utiliser le terme de « folklore » si ce dernier sous-entend un ensemble de contes, d'articles artisanaux, de coutumes et croyances qui appartiennent au lointain passé mais qui attirent la curiosité des touristes et servent de prétexte à l'organisation de fêtes locales, alors qu'en fait, ils sont du ressort exclusif de spécialistes. Le mot « culture », je ne crains pas l'exagération, me semble des plus approprié ».

Malek Haddad confirma la forte influence qu'eurent sur sa vie et son oeuvre les contes et légendes tristes et poétiques, qu'encore enfant, il entendit de la bouche de sa mère.

Mouloud Feraoun avait traduit en français et édité les poèmes du poète populaire berbère Si Mohand, mort il y a plus d'un siècle, mais qui demeure toujours profondément vénéré par les berbères.

Les oeuvres de Mouloud Mammeri résonnent de vieilles légendes qui souvent s'incrustent dans la vie de ses héros comme une réalité tangible et ses scènes préférées des cérémonies rituelles et des fêtes reproduisent certains traits de la tradition folklorique.

Il nous semble en fait que l'originalité de la prose algérienne d'expression française réside dans la combinaison des canons littéraires occidentaux avec les traits de l'art folklorique national.

Si l'on venait à se pencher plus profondément sur cette question et à examiner plus attentivement le caractère de l'influence du folklore dans les oeuvres des romanciers algériens d'expression française, on constaterait sans difficulté deux tendances. En premier lieu, c'est un usage conscient et pleinement réfléchi des motifs folkloriques littéraires remaniés dans le cadre de la méthode et du style personnel propre à chaque auteur (Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine). Et c'est ensuite comme une invasion spontanée de l'élément folklorique dans la narration, dans son « tissu », comme si elle n'y était point préparée.

Dans le roman « La terre et le sang » [6] de Mouloud Feraoun, il y a un épisode singulier : à un pauvre paysan aux soucis quotidiens, vient s'ajouter subitement la nécessité de venger l'honneur de la famille. Il se rend chez le Marabout pour lui demander comment agir. Mais il ne va pas « tout seul » car, selon une vieille tradition, il « emmène avec lui » l'âme d'un des fondateurs de la tribu avec laquelle le Marabout doit entrer en contact avant de commencer ses prédictions. (Emmener une âme du cimetière est fort simple : il suffit de contourner trois fois la tombe). A peine le Marabout avait-il vu le paysan qu'il lui demanda, stupéfait, pourquoi avait-il ramené une deuxième ombre. Etonné, le paysan se souvint qu'à côté de la tombe de son ancêtre il y avait une autre qu'il contourna trois fois involontairement.

Ce qu'il y avait de particulier dans cette scène, c'est l'attitude de l'auteur par rapport à la sorcellerie, attitude fort sérieuse dénuée de tout semblant d'humour, même pas un élément d'interprétation critique. Il est remarquable que de tels épisodes soient peu nombreux dans le livre. Ils n'existent que par eux-mêmes, un peu à part, ne s'associant nullement au reste de la narration qui correspond habituellement aux exigences du réalisme. Le but essentiel de Feraoun est de dresser un portrait collectif d'une couche sociale bien déterminée et les héros des livres sont des paysans kabyles vivant dans un petit village de montagne. Feraoun tente d'étudier avec précision, dans le moindre détail, les moeurs, les coutumes, le mode de vie de ces gens, leur psychologie, leur mode de pensée. Les revirements du sujet, l'introduction de nouveaux personnages, le monologue interne, le paysage, les digressions lyriques - tout n'est que moyen et excuse pour ajouter à ce portrait collectif un nouveau trait.

Et sur ce fond de cette mosaïque de détails de la vie quotidienne apparaissent de grosses taches brillantes, la scène décrite chez le marabout et deux terribles songes (les ancêtres en colère, appelant la vengeance pour laver l'affront) qui prédisent la finale tragique du roman (la mort des principaux héros).

C'est avec assiduité, un peu naïve, à la manière d'une écolière qu'est écrit « La chrysalide », roman d'une jeune écrivain algérienne, Aïcha Lemsine [9]. Le roman est consacré au « problème de la femme », d'une grande actualité pour l'Algérie moderne et devenant de plus en plus à la mode dans sa littérature. L'histoire de deux héroïnes « Chrysalide » Khadija (la génération aînée) et Faïza (la jeune génération) illustre le chemin de la femme algérienne : d'une vie de recluse, dénuée de tout droit, à une nouvelle vie, libre dans un pays ayant conquis son indépendance.

Et voilà que surgit avec force détails, avec une description détaillée, par moment superflue, de la vie de la première héroïne Khadija, brusquement sans motif apparent, comme dans « La terre et le sang » de Mouloud Feraoun, la scène de « sorcellerie » avec le marabout qui chasse le démon de la jeune femme qui souffre de stérilité. Sous l'effet du philtre préparé par le marabout, le démon, d'une voix lugubre, trahit son lieu de présence (l'index du malade) et se volatilise en gémissant à peine le doigt recouvert d'un tatouage magique.

Puis « l'élément magique » disparaît totalement de la narration pour réapparaître subitement dans les derniers chapitres du roman pour donner au « happy end » une teinte de tristesse et de fatalité.

Faïza qui avait obtenu tout ce dont pouvait rêver une jeune algérienne émancipée - un diplôme universitaire avec mention très honorable et un fiancé éperdument amoureux qui lui reconnaissait tous les droits à la liberté et à l'indépendance dont lui-même jouissait, retourne à son village natal pour attendre dans la maison paternelle la demande officielle en mariage. Lors d'une promenade, elle rencontra le vieux marabout.

Et depuis ce jour elle ne cessa de ressentir son regard. Le pressentiment d'un malheur prochain ne cessait de la tourmenter. Elle ne tarda pas à recevoir la nouvelle de la mort de son fiancé. Le coup était trop violent pour elle car elle perdait un homme qu'elle aimait, et l'enfant qu'elle attendait demeurera sans père. Dans le « sourire à peine perceptible » du marabout, elle lut la sentence : « Tu voulais nous quitter ! Mais tu revins vers nous. Tu voulais tout obtenir : la liberté, le savoir, l'amour ! Eh bien, ton amour sera à jamais enseveli dans cette terre et tu demeureras à jamais parmi nous » [9, p.219].

Il est difficile de déterminer avec exactitude le rôle que joue le motif da la « magie » dans les livres de M. Feraoun et de A. Lemsine et d'éclaircir l'attitude des auteurs envers ce motif. Il y a, d'un côté, la volonté de donner à la narration une coloration nationale unissant le modèle littéraire européen aux éléments du folklore local. Mais d'un autre côté, on voit manifestement que la fonction de ces éléments est imprécise et non élaborée.

Il en est tout autrement dans les oeuvres de Mouloud Mammeri, de Mohamed Dib et de Kateb Yacine où tout est bien réfléchi et où le traditionnel et le moderne sont organiquement bien unis.

Le milieu que décrit M. Mammeri dans son roman « Le sommeil du juste » [10] est, en fait, ce héros collectif de M. Feraoun, une population presque misérable dans un petit village kabyle. Certes, la vie des paysans est décrite d'une manière traditionnelle à travers le destin du héros principal, et si M. Feraoun (consciemment ou involontairement) imite la manière des néoréalistes, M. Mammeri se fonde sur le roman français « L'éducation sentimentale » (dans l'une de ses interviews, il désigne « Dominique » de Fromentin, « Eugénie Grandet » de Balzac et « L'éducation sentimentale » de Flaubert, comme les modèles les plus proches du roman français).

Dans l'histoire de la vie du héros de Mouloud Mammeri s'insère la légende de la vendetta entre deux familles apparentées. Il y a plus de 300 ans, le fils aîné du pauvre Azouaou de la famille (Sof) de Aït-Oundlou tua Ali, fils aîné de son oncle, le riche Hand-Ou Kaci. Hand enterra son fils dans sa maison pour éviter que l'assassin ne se jette sur la tombe de sa victime en signe de repentir. Et toutes les nuits, il entendait l'âme d'Ali qui suppliait de le venger. Pour la calmer, Hand égorgea non seulement l'assassin mais aussi ses sept frères. Et depuis, la vie des deux clans se déroula comme si une malédiction était sur eux pour le sang versé. Et toute l'histoire de cette sanglante vengeance s'achève, et avec elle, l'histoire du héros principal du roman (un des descendants des Aït-Oundlou Azouaou) par, encore une fois, un meurtre final en tout point semblable à celui du début de la légende : le fils du dernier des descendants des Azouaou commit le même acte que celui de son lointain aïeul il y a trois siècles, en fracassant d'une balle le crâne de l'arrière arrière petit-fils du légendaire Hand-Ou Kaci.
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meriem

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MessageSujet: La suite et la fin(Aux origines du roman algérien d'expression française )   Aux origines du roman algérien d'expression française Icon_minitimeJeu 23 Oct - 13:20

Quelle est la place de cette légende dans le roman de Mouloud Mammeri et comment est-elle interprétée par l'auteur et ses héros ? Elle existe uniquement dans la mémoire de la vieille génération, croyant en toute crédulité au miracle, réfractaire à toute nouveauté, comme le père qui, de tout son être croit aux traditions et aux concepts venus du fond des âges, sur le mal et le bien, et qui s'accroche à la légende comme l'unique explication au malheur qui s'est abattu sur sa famille, « juste » malédiction sur la lignée des Aït-Oundlou pour le péché commis il y trois siècles.

Cette légende est perçue différemment par la jeune génération, coupée des traditions par les lois coloniales. A la fin de l'ouvrage, Mohand refait le même crime légendaire originel en tirant une balle dans la tête de son oncle Toder sans réaliser, selon la logique des traditions, qu'il réduisait à néant le sens de toutes les souffrances endurées par ses ancêtres durant trois siècles pour expiation du premier péché. La légende pour lui est une idée opportune qui le pousse à tuer la personne honnie, richissime et suceuse du sang des pauvres paysans. Il commet un acte de protestation contre l'injustice, considérant que la malédiction réelle sur ses proches n'est pas l'attente de la vengeance, ni la punition pour le péché commis, mais l'impuissance de la pauvreté face à la richesse.

Ainsi donc, par l'insertion habile de la légende dans le roman, Mouloud Mammeri ne fait que souligner sa résonance sociale faisant ressortir la spécificité de la psychologie et de la réalité nationale. Dans les premières oeuvres de Mohamed Dib « La grande maison »[2] et surtout « L'incendie » [3], le personnage principal, autrefois silencieuse mais ayant acquis la parole et avec elle cette soif aiguë de liberté, la foule. La description de cette lente évolution de la conscience populaire exige naturellement de l'auteur des capacités de compréhension pour exprimer le caractère spécifique de cette conscience. Une des méthodes choisies par l'écrivain pour résoudre ce problème était la « folklorisation » de la narration, c'est-à-dire par l'introduction à la fois d'éléments de folklore pur et d'éléments stylisés. Différentes chansons lyriques, soulignant le caractère émotionnel des épisodes culminantes dans « L'incendie », sont chantées par l'un des héros du livre, le poète populaire Slimane Meskine. Ce sont des légendes moralisatrices qui sont contées par Comandor, écrivain du village (sur le cheval blanc - chapitre III, sur la loi - chapitre VIII). On pourrait constituer un recueil à part grâce aux multiples fragments folkloriques contenus dans « L'incendie ».

L'écriture de Mohamed Dib se transformera substantiellement à l'avenir. Tout au long des pages de ses livres « Qui se souvient de la mer » [4], « Cours sur la rive sauvage » [5], c'est un monde fantastique et bizarre qui est créé selon une méthode moderniste. Ressentant certainement toute la brusquerie des événements dans son oeuvre et comprenant l'effet inattendu subi par le lecteur, M. Dib dans sa postface du roman « Qui se souvient de la mer » tentera de justifier avec force détails les raisons de son éloignement du réalisme.

Sans trop vouloir dévoiler les motifs réels ayant influé la vision de l'auteur, concentrons notre attention à la critique précise qu'il fait sur soi-même. « Cours sur la rive sauvage » et « Qui se souvient de la mer » ne sont autre chose que deux faces d'une même « horrible légende ». En dépit des changements qui s'opèrent en lui, l'écrivain demeure fidèle à son principe d'écriture initial, synthétisant comme par le passé, deux sources - littéraire et folklorique.

Le monde chaotique dans le roman de M. Dib « Qui se souvient de la mer » imitant « l'empire du rêve et du cauchemar » est plein de symboles lugubres et angoissants. Il y a ici des murs mouvants en basalte se refermant sur une voie sans issue et des bâtiments pieuvres brûlant de feux sinistres, aspirant les passants imprudents et rejetant ensuite leurs cadavres défigurés. Et tout ce réseau lugubre de passages souterrains peuplés de momies et de statues mouvantes et des monstres inventés par l'auteur - des spirovires et des irias, les premiers émettent des sons stridents, allusion peut-être aux sirènes des voitures de la police française, les seconds - du latin ira - semblables aux oiseaux carnivores, rappellent les hélicoptères.

Cependant, tout ce semblant de chaos est tout simplement soumis à un sujet modeste comportant une série d'épisodes où chacun est une nouvelle aventure périlleuse du héros à la recherche de son épouse Nafissa qui a subitement disparu. Le héros tombe soit dans des guets-apens dressés par des bâtiments pieuvres, soit est agressé par des irias, ou bien erre-t-il à travers le labyrinthe souterrain, etc... Et chaque fois c'est son ange gardien et sa bien aimée Nafissa qui le sauve de ces pièges en lui envoyant des signes d'amour et de protection : c'est une bague lumineuse, une rose surgissant du fond de la mer.

C'est le même motif de quête de la fiancée surgissant d'un conte merveilleux que nous retrouvons, sous une forme beaucoup plus nette, dans le roman de Mohamed Dib « Cours sur la rive sauvage ». Ici le héros du nom d'Iven Zohr se marie a la belle Radia. Lors de la célébration des noces, Radia disparaît subitement et c'est la méchante Hella qui apparaît à sa place. Lors de la recherche de Radia, Iven Zohr tombe dans un monde fantastique : une ville de statues vivantes, une ville de flammes, une ville de labyrinthes, etc... Hella le guettait partout et chaque fois c'est Radia qui le sauve, soit par son apparition, soit en lui envoyant une bague brillante et magique. Cependant, ni l'aide de Radia, ni l'ingéniosité de Zohr (pour tromper Hella, il se scinda en quatre « ego » - quatre éléments : le vent, la pierre, l'eau et le feu) n'apportent de délivrance. La terrible Hella finit par s'emparer entièrement d'Iven Zohr.

Le fantastique du conte magique ainsi assombri est interprété sous une forme moderniste, crée ce que l'auteur avait parfaitement désigné comme une « horrible légende » exprimant, sous une forme détournée, ses impressions sur les dernières années, les plus dures et les plus meurtrières de la guerre de libération de 1954 - 1962.

Bien plus bizarre encore et tellement complexe la méthode de « folklorisation », alliant l'élément traditionnel au mode d'écriture emprunté qu'on retrouve dans l'oeuvre de Kateb Yacine : Nedjma [7], Le polygone étoilé [8], Les ancêtres redoublent de férocité et Sidi M'cid.

Kateb Yacine disait dans l'une de ses interviews qu'il aurait aimé aborder le dramatisme de la vie moderne à travers l'interprétation des vieilles légendes. C'est seulement ainsi qu'il pouvait refléter tout le destin tragique du peuple algérien. On comprend facilement le désir de l'écrivain de parvenir la possession des richesses folkloriques de son pays, à décrire avec subtilité les événements de la vie moderne. Il voit avant tout le lien entre le passé et le présent de sa patrie dans cette forme inépuisable de la résistance et de la lutte. Voila pourquoi Kateb Yacine fait de la légende de Keblout, le fondateur de la vieille tribu éprise de liberté, l'idée centrale de son oeuvre. Cette tribu avait été fondée dans la région de Constantine - ville de l'écrivain. Selon la légende, Keblout, ne voulant pas tomber prisonnier aux mains des envahisseurs, exigea de sa femme Keltoum de lui couper la tête et d'enterrer ses restes dans la forêt.

Les héros des romans et pièces de Kateb Yacine, descendants du légendaire Keblout ont une vie pleine de vicissitude, de revers et d'expérience amères. Ils ne sont rien d'autre que l'héritage de la dureté de protestation. La permanence de la résistance tout au long des siècles n'est cependant pas l'unique idée de la légende. L'histoire de la résurrection et de la mort de Keblout - semblable à celle d'Osiris ou de Tammouz, devient pour Kateb Yacine l'incarnation de l'idée du cycle, de la répétition comme une loi éternelle de l'existence des grandes et des petites formes de vie, témoignage de l'engouement de l'écrivain algérien pour Joyce.

Le diptyque « Nedjma » et « Le polygone étoilé » est construit sur le plan strictement littéraire par un mélange complexe de répétitions d'épisodes dont chacun constitue un fragment ou sujet : chacun des quatre héros trouve puis de nouveau perd sa bien-aimée Nedjma dont le destin se confond avec celui de sa mère qui fut aimée par quatre hommes de la tribu de Keblout, et qui symbolise en même temps le destin de l'Algérie (en arabe comme en français, l'Algérie est un nom féminin) que de fois conquise, passant d'un conquérant à un autre, mais jamais « apprivoisée » ni soumise. Meurt et renaît le légendaire Keblout. C'est une série entière de morts et de résurrections qu'il traverse dans les souvenirs des personnages comme Lakhdar, se mourant d'un coup de couteau, pour renaître « des ténèbres de la nuit lavé du sang ». Il est comme Prométhée (mille fois mort sous les coups de bec d'un aigle) ou du Christ trahi par un Juda algérien - son beau père Tahar. Dans la pièce « Les ancêtres redoublent de férocité » où le thème est proche de celui de « Nedjma », il y a la scène de la mort de Lakhdar, comme crucifié sur un « arbre amer » - un oranger aux fruits dorés et empoisonnés d'amertume - comme l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et ressuscite : venues pleurer Lakhdar, la mère (Zohra-Maria) et l'amie (Nedjma-Madeleine) ne retrouvent pas le corps.

Le chemin de l'héroïne du diptyque - Nedjma, est plus complexe encore. Elle est à la fois Keltoum, l'épouse de Keblout, et Salombo la carthaginoise et la nymphe des bois - la baigneuse. Elle est la somnambule ayant goûté au lotus sur l'île des Lotophages, elle est la déesse de la guerre, la terrible reine des berbères - la Kahina. Elle est la vierge Marie sacrifiant son fils unique à la méchanceté humaine, et Madeleine, la rivale de la vierge Marie dans l'amour et le deuil. Elle est la belle Hélène, fausse barmaid, à l'origine de bagarres sanglantes entre Grecs et Troyens - Algériens et pieds-noirs. Elle est enfin la partisane au « colt sur les seins », c'est-à-dire l'unique symbole de la féminité, immuable à travers les siècles.

L'avantage du schéma cyclique de Kateb Yacine par rapport à celui de Joyce est le contenu pittoresque local où l'auteur introduit des personnages connus et proches de l'imagination de son peuple. Pour Kateb Yacine, la légende de Keblout ne fut point un matériau « archéologique » mort comme celui que traita Joyce.

Le thème de l'inceste est aussi un thème significatif dans « Nedjma » et le « Polygone étoilé ». Chacun des quatre jeunes gens, par la force des choses, aurait pu être le demi-frère de Nedjma. C'est une sorte de mise en garde contre ces mariages assez fréquents entre proches parents suite aux divisions tribales du pays. « Je voulais montrer dans Nedjma que la tribu et la nation s'affrontent comme la mort et la vie », avait déclaré dans une de ses interviews Kateb Yacine. Selon lui, les survivances de l'isolement tribal comme moyen original de conservation de l'entité ethnique dans son état pur, ne peuvent conduire actuellement qu'à la stagnation et non à la renaissance.

Selon Jean Dejeux, le motif de l'inceste dans les romans de Kateb Yacine est le reflet d'une légende fort répandue tant parmi la population berbère qu'arabe dans la région de Constantine [1, p.286]. Selon la légende, Dieu aurait puni en les transformant en pierre, le frère et la demi-soeur après leur mariage. Selon une autre version, c'est Abe-el-Moussa, un des officiers de la reine berbère El Kahina qui a été transformé en pierre pour avoir épousé sa propre fille.

Il y a dans « Nedjma » un autre motif comme collé au thème principal « Keblout l'ancêtre » et qu'on peut intituler « la double métamorphose de Keblout ».

D'après « Nedjma », la tribu des kebloutis s'est installée dans la région de Constantine sur le Mont Nador et a durement résisté aux incursions des envahisseurs. Lorsque les Français sont arrivés, ils ont tout rasé. Mais la tribu, par son obstination, n'a pas été soumise. Les anciens virent dans l'isolement l'unique voie de salut et emmenèrent les survivants dans les profondeurs des forêts. Au sommet du Mont Nador il y avait le nid d'un vieil aigle gigantesque. Une des jeunes filles de la tribu voulut y accéder. On la retrouva morte au bas de la montagne. Une deuxième jeune fille périt quant elle partit à la recherche de sa soeur. C'est alors que naquit l'espoir parmi les gens de la tribu « peut-être que la malédiction, grâce au sacrifice de ces deux vierges, sera levée ». Keblout est donc identifié à « un oiseau des hautes cimes » auquel on sacrifie une victime purificatrice. La deuxième métamorphose de Keblout, c'est un nègre mystérieux, « un grand chasseur, sorcier, musicien et guérisseur des pauvres ». Il est le gardien de l'honneur et des traditions guerrières de la tribu des kebloutis. Ce n'est par hasard qu'à la fin de l'ouvrage il devient le compagnon éternel de Nedjma - la patrie, son seul et fidèle protecteur.

Les origines de la double métamorphose de Keblout dans le roman de Kateb Yacine remontent à la légende du guérisseur noir Sidi M'sid, très connu dans le constantinois et qui a certainement pris naissance aux tout premiers temps de l'islamisation de la population berbère locale. Selon la légende, le noir marabout Sidi M'sid fut transformé en griffon, selon une autre version de la légende - en vautour par le courroux de Dieu pour avoir refusé de faire le Ramadan. Aujourd'hui encore à Sidi M'sid, lieu peuplé de rapaces, le samedi de la dernière semaine de septembre, on célèbre encore la fête païenne des griffons. Comme symbole d'offrandes, on disposait sur les pierres des morceaux de viande crue. Les noirs de la secte des guérisseurs battaient du tambour et la danse magique commençait et à laquelle prenait part la population locale qui souffrait de différentes maladies. Cette fête à laquelle, peut-être, l'auteur y prit part un jour, est décrite avec force détails dans une nouvelle de Kateb Yacine « Sidi M'sid » qui est une version dans l'un des épisodes de « Nedjma ».

Ainsi les traces de l'influence des traditions populaires sont suffisamment évidentes dans les oeuvres des écrivains qui ont jeté les fondements du roman algérien moderne quoique la maîtrise du traitement du matériau folklorique soit évidemment différente d'un auteur à un autre selon le degré de maturité et de talent.
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